La radicalisation se combat d’abord dans la vie réelle

Article publié sur le monde.fr le 8 novembre 2016

Analyse. Les individus radicalisés ont en commun de manquer de perspective. Améliorer leur sort éducatif et économique serait le premier rempart contre la radicalisation. L’école est un lieu privilégié pour la prévention.

Les « milléniums », ces jeunes nés après 1980, ont à peine connu la vie sans Facebook, YouTube, Twitter, Instagram et autres Telegram, devenus leurs principaux vecteurs de communication et d’information. Avec des équipes de communication hors pair, des groupes terroristes comme l’organisation Etat islamique (EI) se servent allègrement de ces réseaux sociaux pour diffuser leur propagande et recruter.

Nombreux sont ceux qui prônent, pour lutter contre la radicalisation des jeunes, de combattre les djihadistes sur leur propre terrain virtuel. Mais bloquer des sites et contrer la propagande par des discours alternatifs, est-ce la bonne méthode ? Les experts réunis à la conférence internationale « Internet et la radicalisation des jeunes », organisée du 30 octobre au 1er novembre par l’Unesco et le Québec, étaient partagés sur le sujet. Mais ils se sont accordés sur un point : il est impossible d’enrayer le phénomène seulement sur Internet ; c’est dans la vie réelle de ces jeunes qu’il faut surtout agir.

« Il n’existe pas de preuve d’un lien direct entre radicalisation des jeunes et propagande en ligne », affirme Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Toulouse. Internet agit comme un accélérateur de la radicalisation de jeunes vulnérables, « en souffrance sociale », selon l’expression de Cécile Rousseau, professeure au département de psychiatrie de l’université McGill.

La réplique facile des gouvernements à la propagande djihadiste a été de réclamer des géants du Net qu’ils retirent de tels contenus. Plusieurs, comme la secrétaire d’Etat française chargée de l’aide aux victimes, Juliette Méadel, militent encore avec force pour une politique plus proactive dans le repérage et le retrait de contenus extrémistes. Mais la censure est inefficace, conviennent la plupart des spécialistes.

Un combat perdu d’avance

Chaque minute, 570 sites sont mis en ligne et soixante-dix heures de contenu débarquent sur YouTube. Maîtriser ce flux d’informations est un combat perdu d’avance. « La censure ne fonctionne pas et, de toute façon, Internet n’est pas la cause de la radicalisation », martèle Ross Lajeunesse, responsable mondial de la liberté d’expression et des relations internationales de Google.

Comme bien d’autres, il insiste sur la nécessité de développer des « contre-discours » sur les plates-formes virtuelles. Les anciens membres ou sympathisants de groupes extrémistes expliquant leur revirement sont les plus percutants pour dissuader des jeunes tentés par le djihadisme. A Montréal, six d’entre eux ont raconté leur histoire personnelle dans une BD dessinée par le Français El Diablo. En Grande-Bretagne, Against Violent Extremism monte des « campagnes contre-narratives » avec d’ex-radicalisés en ciblant des jeunes à risque sur Facebook, YouTube et Twitter.

Souvent victimes de racisme et de discrimination, parfois en échec scolaire ou au chômage, les jeunes attirés par les discours djihadistes trouvent dans les réseaux sociaux des réponses, un espace de partage, un espoir que la société ne leur donne pas et sont, du coup, des proies faciles pour les extrémistes.

Pour prévenir la radicalisation, « personne n’a de baguette magique et partout on tâtonne », avoue Rachid Madrane, ministre de l’aide à la jeunesse à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Muriel Domenach, ex-consul de France à Istanbul, secrétaire générale du comité interministériel de prévenion de la délinquance et de la radicalisation, ajoute : « Nous ne prétendons pas avoir trouvé un vaccin, mais nous essayons d’introduire plus d’anticorps. »

Reconstruire le lien citoyen

Bien des initiatives sont engagées par des Etats, des villes, des victimes d’attentats, d’anciens radicalisés ou des parents de ceux qui sont partis, des associations, des centres de prévention de la radicalisation, comme ceux de Montréal, Bordeaux et bientôt Bruxelles. Dans ce magma de politiques, de plans et d’actions, il y a un élément à ne pas perdre de vue : les individus radicalisés ont en commun de manquer de perspective d’avenir. Améliorer leur sort éducatif et économique serait le premier rempart contre la radicalisation.

« On doit reconstruire le lien citoyen », note Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, présidente de la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes. Hans Bonte, maire de Vilvorde, en Belgique, qui a vu partir 28 jeunes pour la Syrie en 2012-2013, croit aussi qu’« il faut investir dans la prévention, sortir des bureaux, rebâtir une société où les jeunes se sentent chez eux ». A Vilvorde, une cellule municipale de déradicalisation rassemble tous les acteurs du milieu, musulmans compris. Grâce à la mosquée, des jeunes tentent de renouer le dialogue avec d’autres jeunes à risque.

L’école est un lieu privilégié pour la prévention. Le projet pilote de l’Unesco, PhiloJeunes, en est un bon exemple. Il se déploie au Québec et en France (lancement prévu le 16 novembre) et cible l’éducation des 5 -16 ans aux valeurs démocratiques et civiques, avec prévention du fanatisme et de la radicalisation en ligne de mire.

Au Niger, un pays cerné par les groupes extrémistes, l’action menée par Maïmou Wali est aussi exemplaire d’un lien fort entre prévention de la radicalisation et éducation. Son projet d’appui pédagogique aux écoles coraniques travaille à l’alphabétisation de plus de 32 000 jeunes, filles aux trois quarts, au sein d’écoles coraniques. Six cents jeunes filles de 9 à 14 ans ont bénéficié cette année d’une « passerelle vers l’école formelle ». Du jamais-vu. « Nous avons l’ambition, précise Maïmou Wali, d’étendre ce projet à tout le Sahel. »

 

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À propos de Anne Pélouas

Journaliste-blogueuse au Canada, d'origine française, je suis correspondante du quotidien français Le Monde. J'écris aussi pour différentes publications québécoises et françaises, avec le tourisme, le plein air et la gastronomie pour sujets de prédilection. J'ai ouvert un second blogue en janvier 2016: Grouille pour pas qu'ça rouille. Spécial baby-boomers actifs !

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