Le Canada adopte un accord a minima pour réduire les émissions de gaz à effet de serre

**Le texte prévoit la mise en place d’une taxe carbone progressive à partir de 2018. Deux provinces, le Saskatchewan et le Manitoba, ont refusé de le signer.

Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a dévoilé, vendredi 9 décembre, un plan national de lutte contre le changement climatique qualifié certes d’«ambitieux», mais à l’issue incertaine au vu des récentes décisions en faveur d’oléoducs controversés qui accéléreront la production du pétrole issu des sables bitumineux.

« Le Canada ne peut pas se permettre de vaciller » dans la lutte contre le changement climatique et « doit faire sa part », même si ses émissions de gaz à effet de serre pèsent moins de 2 % du total mondial, a déclaré M. Trudeau lors d’une réunion avec les premiers ministres des provinces et des territoires qui était destinée à entériner une nouvelle stratégie nationale.

Ils se sont entendus sur les moyens qui doivent permettre d’atteindre des cibles absolues de réduction des gaz à effet de serre mais le Manitoba et le Saskatchewan ont refusé de signer l’accord, s’opposant à la mise en place d’une taxe carbone.

Devenir « un leader mondial en matière d’énergie propre »

Pour réduire les émissions de 30 % d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 2005 – c’est l’engagement pris par Ottawa lors de l’accord de Paris en décembre 2015 –, le Canada devra les diminuer de 742 à 523 mégatonnes.

L’effort des provinces, allié à des réductions de méthane du secteur énergétique ainsi que des hydrofluorocarbures – ces gaz dont l’effet de serre est 14 000 fois plus puissant que le CO2 sont principalement utilisés comme réfrigérants, dans les climatiseurs et les réfrigérateurs – permettrait d’éliminer 89 mégatonnes.

La fermeture des centrales électriques au charbon d’ici à 2030, annoncée en novembre, et l’adoption de meilleures normes énergétiques pour les habitations et les voitures retrancherait encore 86 mégatonnes, alors que 44 mégatonnes seraient éliminées par des investissements dans les transports en commun, les infrastructures vertes et le stockage du carbone dans des forêts et des milieux humides protégés.

Le plan inclut par ailleurs une taxe carbone nationale à partir de 2018 dans les provinces qui n’en auront pas encore adopté une.

Le Canada veut devenir « un vrai leader mondial en matière d’énergie propre » en visant « 90 % d’énergie renouvelable d’ici à 2030 », souligne M. Trudeau.

Le premier ministre avait créé la surprise, en octobre, en annonçant une taxe de 10 dollars canadiens (7,20 euros) la tonne de CO2 pour 2018, qui doit être augmentée de 10 dollars canadiens par an pour atteindre 50 dollars en 2022. La plupart des provinces ont ou auront alors un système de tarification du carbone mais certaines jugent ce montant de 50 dollars trop élevé ; elles réclament plus d’équité ou n’en veulent pas, comme le Saskatchewan.

Hausse de la production de pétrole

Le plan pourrait surtout battre de l’aile sous l’effet d’une hausse de la production nationale de pétrole, entraînant une augmentation des émissions. La progression est évaluée à 40 % d’ici à 2025, principalement dans les sables bitumineux ; la production passerait alors de 2,4 millions à 3,4 millions de barils par jour.

Aux prises avec une croissance anémique, M. Trudeau a cédé aux pressions de l’industrie pétrolière qui réclame des oléoducs pour pouvoir exporter la ressource. Il a soufflé le chaud et le froid, le 29 novembre, rejetant d’abord le controversé Northern Gateway entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, mais soulevant aussi la grogne des leaders environnementaux et locaux en donnant son aval à deux autres projets.

Le premier prolongerait sur près de 1 000 kilomètres l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan, entre Edmonton (Alberta) et Burnaby (Colombie-Britannique), et s’accompagnerait de l’agrandissement d’un terminal pétrolier, avec un coût de 6,8 milliards de dollars canadiens. Il traverserait le parc national Jasper et transporterait 890 000 barils de pétrole par jour, contre 300 000 actuellement.

Le second remplacerait sur 1 660 kilomètres la ligne 3 d’Enbridge entre Hardisty (Alberta) et Superior (Wisconsin), un projet de 7,5 milliards de dollars qui doublera la capacité de l’oléoduc, à 760 000 barils de pétrole par jour.

M. Trudeau se justifie en voulant faire du Canada « un pays plus propre et plus prospère ». Il fait le pari de « gérer la transition vers une économie à faible taux de carbone », avec une hausse de la production de pétrole.

De tels projets, dit-il, vont procurer « des milliers de bons emplois aux Canadiens et des millions de revenus à tous les paliers de gouvernements », nécessaires pour financer les dépenses de santé, d’éducation et d’énergies propres. Autrement dit, le Canada ne peut s’en passer.

Fuite en avant

« On ne peut pas se sevrer de ces hydrocarbures du jour au lendemain », avouait la ministre de l’environnement, Catherine McKenna, fin novembre. Autant s’offrir une bonne occasion, ajoutait M. Trudeau, de « diversifier nos marchés d’exportation » et d’opter pour des oléoducs, plus sécuritaires que le transport par rail, qui est plus cher et plus polluant.

Kathleen Nothley, qui dirige l’Alberta, tient le même discours. Cette province se relève doucement de la crise provoquée par la chute des prix du pétrole et les incendies qui ont ravagé la région de Fort McMurray. Avec ces oléoducs, estime-t-elle, « nous avons une chance de sortirde notre enclave, de vendre en Chine et sur d’autres marchés, à de meilleurs prix, et de réduire notre dépendance au marché américain ».

Les groupes environnementaux saluent le nouveau plan national, après des années de recul sous Stephen Harper, le prédécesseur de M. Trudeau. Ils déplorent toutefois la fuite en avant de la production pétrolière, permise par Ottawa.

Peter Robinson, directeur de la Fondation David Suzuki – une organisation environnementale basée à Vancouver –, s’inquiète des risques de déversements de pétrole, avec un trafic de tankers multiplié par sept du fait du projet Trans Mountain qui fragiliserait aussi l’écosystème dans lequel vivent 80 orques.

L’approbation des projets d’oléoducs « ternit la crédibilité du Canada comme champion de l’accord de Paris », affirmait, fin novembre, le porte-parole de l’association québécoise Equiterre, Stephen Guilbeault, tout en jugeant, vendredi, le nouveau plan « historique » bien qu’imparfait.

Les deux projets d’oléoducs entraîneront une hausse des gaz à effet de serre imputables à l’augmentation de la production pétrolière qu’Ottawa évalue à plus de 120 millions de tonnes par an, ce qui risque fort d’effacer une partie des efforts que le Canada fera avec son nouveau plan. C’est sans compter un autre projet d’oléoduc en attente pour exporter du pétrole via l’Atlantique et la relance éventuelle de Keystone XL par le future administration américaine…

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À propos de Anne Pélouas

Journaliste-blogueuse au Canada, d'origine française, je suis correspondante du quotidien français Le Monde. J'écris aussi pour différentes publications québécoises et françaises, avec le tourisme, le plein air et la gastronomie pour sujets de prédilection. J'ai ouvert un second blogue en janvier 2016: Grouille pour pas qu'ça rouille. Spécial baby-boomers actifs !

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