Au Canada, le vote autochtone pourrait nuire aux conservateurs
Article publié sur le monde.fr le 14 octobre
Les Amérindiens veulent participer en masse aux élections fédérales du 19 octobre, mettant en danger le premier ministre, Stephen Harper.
Les autochtones du Canada vont-ils priver Stephen Harper de son fauteuil de chef du gouvernement, lors des élections fédérales du 19 octobre ? Le 6 octobre, le premier ministre conservateur, au pouvoir depuis 2006, a rejeté l’une des principales revendications des «premières nations» : pas question, a-t-il déclaré, d’une commission d’enquête sur la surreprésentation des femmes autochtones parmi les victimes d’homicides et de disparitions (1 200 depuis les années 1980). Contrairement à ses principaux adversaires, Stephen Harper a jugé qu’une telle enquête serait superflue, prônant plutôt des actions de prévention.
Voilà qui pourrait dissuader les autochtones de voter pour les conservateurs, alors que le scrutin s’annonce serré. Selon les sondages, ils sont au coude-à-coude (avec 32 % des intentions de vote) avec le Parti libéral (PLC) à 30 % et le Nouveau Parti démocratique (NPD) à 26 %.
L’Assemblée des premières nations (APN), représentant plus de 900 000 autochtones, appelle à un vote stratégique dans une cinquantaine de circonscriptions «chaudes» pour le gouvernement sortant. «Plus que jamais, notre vote fera la différence, affirme son chef, Perry Bellegarde. – Nous ne donnons – pas de consigne de vote, mais nous encourageons nos électeurs à vérifier qui s’engage sur nos priorités : éducation, logement, lutte à la pauvreté, programmes sociaux, enquête sur les disparitions de femmes.»
Le chef de l’APN espère que le travail fait pour mieux informer les autochtones sur leur droit de vote (obtenu en 1960) portera ses fruits. L’objectif est de faire progresser leur participation : en 2011, celle-ci atteignait 62 % dans l’ensemble du pays, mais chutait à 40 % seulement dans les réserves. Le 19 octobre, ce sera d’ailleurs la première fois que Perry Bellegarde votera lors d’une élection fédérale.
L’APN fait pression sur les partis pour qu’ils prennent position sur ses priorités. Les autochtones se plaignent d’être des citoyens de seconde zone, notamment en matière de qualité de vie. En Ontario, par exemple, des dirigeants autochtones dénonçaient dernièrement «le silence du gouvernement Harper» sur les problèmes de santé publique dans les réserves, comme celle de Neskantaga qui n’a ni eau courante ni eau potable.
Dialogue «de nation à nation»
Si les conservateurs se tiennent loin des débats sur les questions autochtones, les autres partis courtisent cet électorat. Les Verts, le PLC et le NPD ont pris des engagements en leur faveur, mais les premiers sont les seuls à avoir une véritable «politique autochtone». Le PLC comme le NPD (ce dernier présente 16 candidats autochtones) sont d’accord pour un dialogue «de nation à nation» sur les revendications territoriales, le financement de programmes sociaux ou de logement, et le suivi des recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation – mise en place pour faire la lumière sur les mauvaises conditions de vie et les exactions commises contre des milliers d’enfants placés dans des pensionnats autochtones de la fin du XIXe siècle à 1960.
En 2008, M. Harper a présenté des excuses publiques à ce sujet – c’est le seul élément positif de son mandat, estime M. Bellegarde. Pour le reste, les conservateurs ont «sabré dans les financements de programmes et dépensé en pure perte des millions de dollars dans des batailles judiciaires pour contester nos droits territoriaux».
Un vrai gâchis, souligne John Saul, essayiste canadien auteur du Grand Retour, livre dans lequel il avance l’idée d’un «réveil» des autochtones. Ceux-ci, explique-t-il, reviennent en force sur la scène publique, avec une population passée de 175 000 personnes à près de deux millions. Le «réveil» est porté «par une élite jeune et éduquée comme par un fort mouvement de la base». Après le mouvement Idle No More (qui a vu les autochtones descendre dans la rue en 2012-2013 pour critiquer de grands projets pétroliers et gaziers sur leurs territoires ancestraux), l’organisation, depuis quelques jours au Canada de marches préélectorales baptisées «les premières nations comptent», est un nouvel exemple de ce mouvement de masse. Pour John Saul, il est grand temps que le Canada abandonne son «modèle colonial» et innove dans ses relations avec le peuple autochtone, l’un de ses «piliers fondateurs».