Au Canada, génération Justin Trudeau

Article publié sur le monde.fr le 21 octobre 2015

Le nouveau premier ministre veut rompre avec le conservatisme de son prédécesseur.

Justin Trudeau a fait mentir Stephen Harper, au pouvoir depuis 2006, en remportant une victoire écrasante, lundi 19  octobre, aux législatives canadiennes. «Justin, juste pas prêt», ironisaient les conservateurs. Trop jeune, trop tendre, trop inexpérimenté ? C’est pourtant lui qui reprend, à 43 ans, le chemin du 24 Sussex Drive, la résidence officielle du premier ministre canadien, à Ottawa. Là même où il a vécu, à partir de Noël 1971, ses douze premières années, lorsque son père Pierre Elliott Trudeau, figure flamboyante de la politique canadienne de la fin des années 1960 à1984, dirigeait le pays.

«Croire en nous-même»

Placé très jeune sous les feux de la rampe avec ses deux frères cadets, Alexandre et Michel, Justin n’a eu de cesse de mener une existence discrète. A l’exception du vibrant éloge qu’il fit en  2000 pour les funérailles de son père. «Il nous a appris à croire en nous-mêmes », dira-t-il alors, en forme d’hommage prémonitoire.

L’homme a toujours tenu à être reconnu pour ses qualités propres. Son style,soulignent ses proches, provientdavantage de son grand-père maternel, Jimmy Sinclair, immigrant écossais et député fédéral de 1940 à 1958. C’est de lui qu’il tiendrait cette passion pour les campagnes électorales, non pour débattre mais pour «sortir, frapper aux portes, rencontrer des gens, prendre le temps de les écouter», comme il le dit.

«Devoir vivre avec le fait d’être le fils de mon père, je l’ai vécu toute ma vie, mais c’est ce que j’ai à proposer qui compte», déclarait-il en janvier. D’où cette volonté de toujours mettre en avant son seul prénom. Sans jamais toutefois omettre de rappeler l’amour porté par ce «père extraordinaire qui avait deux priorités, son pays et ses enfants», et «les valeurs libérales» qu’il lui a transmises, comme le rappelle Terrain d’entente, son autobiographie, parue en  2014.

Son père, Pierre Elliott Trudeau, a épousé à 52 ans Margaret Sinclair, de vingt-neuf ans sa cadette. Un couple qui oscille entre glamour et tumultes. «Maggie» est une rebelle sans cause, avec des yeux bleus et des fleurs dans les cheveux. Elle chante devant Fidel Castro, danse dans des clubs new-yorkais, se lie d’amitié avec Andy Warhol, Truman Capote et entretient des liaisons amoureuses avec Leonard Cohen, le sénateur Ted Kennedy, l’acteur Jack Nicholson et Ron Wood des Rolling Stones. Un jour, elle quittera mari et enfants pour partir en tournée avec le célèbre groupe de rock, mais niera toujours avoir eu une aventure avec Mick Jagger. Justin n’a alors que 6  ans.

De sa jeunesse avec une mère peu présente et souffrant, de son propre aveu, de troubles bipolaires, il ne garde pas d’amertume. A 67 ans, Maggie fut d’ailleurs près de lui durant sa campagne électorale. Avec son père, Justin côtoie les grands de ce monde, Ronald Reagan, la princesse Diana,Margaret Thatcher. Rien ne lui donne pourtant le goût de la politique, dont il s’éloignera jusqu’en  2007. Grand voyageur dans sa jeunesse (après le bac, il prend une année sabbatique en  1994 pour faire le tour du monde), Justin Trudeau est un touche-à-tout qui n’a rien d’un intellectuel.

A 22 ans, diplôme de littérature anglaise en poche (obtenu à la prestigieuse Université McGill), il quitte Montréal pour l’Ouest canadien et enseigne les mathématiques et le français à Vancouver. Il adore la montagne et la mer, le snowboard et la boxe, qu’il pratique encore. De cette passion lui vient sans doute ce sens aigu des coups qui portent.

Programme ambitieux

En  2002, il rentre au Québec et débute des études d’ingénieur, puis de géographie environnementale. Il s’implique à fond à la présidence de Katimavik, un programme de bénévolat pour la jeunesse créé par son père en 1977. Trois ans après son retour, il épouse Sophie Grégoire, ancien mannequin, animatrice de télévision et professeur de yoga. Trois enfants naîtront de cette union. «Depuis toujours, mon plus grand rêve était de devenir père», confie celui que l’on voit très souvent en public entouré des siens. Socialement engagé, Justin Trudeau milite pour les causes environnementales et bénévoles, creusets de son aspiration à faire entendre la voix des jeunes dans la sphère publique. «Un changement générationnel approchait, dira-t-il, c’est dans ce contexte que j’ai fait mes premiers pas en politique.»

Élu député en  2008 dans un quartier montréalais populaire, il fait ses classes à Ottawa sans grand éclat, sauf en gagnant un combat de boxe lors d’un gala de bienfaisance contre un sénateur en  2013. Cette année-là, il hésite longuement avant de briguer la tête du Parti libéral. Une fois élu, le conservateur Stephen Harper et ses proches ironiseront très vite sur ce poids léger, considéré par beaucoup comme un adversaire mineur, un amateur voulant légaliser l’usage de la marijuana après avoir admis en avoir fumé un soir.

Ses adversaires se trompent. Dans une des plus longues campagnes de l’histoire canadienne, Justin Trudeau parviendra à faire passer son parti d’une piètre troisième place à la première.

Certains commentateurs avancent qu’il a la trempe d’un Barack Obama, qu’il admire, reprenant d’ailleurs durant la campagne l’idée d’un «vrai changement». Il embrasse autant qu’il serre des mains, prend des bébés dans ses bras, se laisse prendre au jeu des selfies, joue de son charme avec aisance. Avec sa faconde, il renvoie l’image d’un Canada plus confiant en soi, plus juste et plus ouvert. Au soir de sa victoire, il résumait ainsi sa campagne marathon  : «Nous avons vaincu la peur grâce à l’espoir et le cynisme par le travail. Surtout, nous avons vaincu l’idée que les Canadiens devraient se contenter de moins».

La «vision d’espérance» qu’il proposait aux Canadiens, jugée utopiste par certains, a plutôt incité les électeurs à donner le champ libre à cet adepte d’une «politique positive». Rassembleur, il s’est présenté au soir du 19  octobre comme «le premier ministre de tous les Canadiens» et invitait ses partisans à ne pas voir les conservateurs comme des «ennemis» mais comme «voisins».

Son programme est ambitieux. Le nouveau premier ministre veut redonner de la croissance et créer des emplois en misant sur des projets plus verts. Il entend réduire les inégalités sociales et améliorer le sort de la classe moyenne et des familles, redorer l’image du Canada sur la scène internationale, lui rendre sa place de leader dans la lutte contre les changements climatiques, dans l’aide au développement, les missions de maintien de la paix, l’accueil des réfugiés.

Déjà, il a rempli une promesse, en informant mardi le président américain de l’arrêt des frappes canadiennes contre l’organisation Etat islamique. Les autres chefs d’Etat ne tarderont pas à le rencontrer avec trois grands rendez-vous internationaux en novembre  : un G20, un sommet Asie-Pacifique, puis la conférence de Paris sur le climat. La partie de séduction ne fait que commencer.

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À propos de Anne Pélouas

Journaliste-blogueuse au Canada, d'origine française, je suis correspondante du quotidien français Le Monde. J'écris aussi pour différentes publications québécoises et françaises, avec le tourisme, le plein air et la gastronomie pour sujets de prédilection. J'ai ouvert un second blogue en janvier 2016: Grouille pour pas qu'ça rouille. Spécial baby-boomers actifs !

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