Justin Trudeau imprime son style à Ottawa
Article publié sur le monde.fr le 5 novembre 2015
C’est à pied plutôt qu’en limousine et au son de la cornemuse que Justin Trudeau, 43 ans, a fait son entrée à Rideau Hall, la résidence du gouverneur général du Canada à Ottawa, mercredi 4 novembre, entouré des membres de son cabinet. Voulant donner une image d’équipe « forte, diversifiée et expérimentée », le nouveau premier ministre canadien avait réservé au grand public la primeur de la composition du conseil des ministres. Envahis par plus de 2 000 personnes, les jardins de Rideau Hall étaient parés aux couleurs de l’été indien quand le chef libéral s’est avancé dans l’allée centrale avec sa femme et sa nouvelle équipe.
Signe qu’il apportera une attention toute particulière au sort des Amérindiens, M. Trudeau est entré dans la « salle de Bal » précédé d’un jeune joueur de tambour de la nation Cree et a écouté deux jeunes chanteuses de gorge Inuites après son assermentation. Il a surtout nommé deux autochtones à des postes-clés : l’Inuit Hunter Tootoo comme ministre des pêches et des océans et l’avocate Judy Wilson-Raybould, ancienne chef de l’Assemblée des premières nations en Colombie-Britannique, à la justice. Mme Wilson-Raybould a déjà sur son bureau les délicats dossiers de l’aide médicale à mourir et de la légalisation de la marijuana.
Le cabinet nommé par M. Trudeau compte trente ministres et autant d’hommes que de femmes, respectant sa promesse de campagne. Il reflète également la diversité canadienne, tant géographique que culturelle. Plusieurs ministres sont ainsi issus des « communautés culturelles ». M. Trudeau a rappelé que « le Canada est fort, non pas malgré sa diversité mais plutôt à cause de sa diversité ». L’image d’un Canada moderne et accueillant envers les immigrants trouve son visage en la personne de Maryam Monsef. Entrée à 11 ans au Canada comme réfugiée venue d’Afghanistan, elle se voit confier, à 30 ans, le nouveau ministère des institutions démocratiques.
La Québécoise Mélanie Joly, 36 ans, candidate malheureuse à la mairie de Montréal en 2013, devient ministre du patrimoine (la culture). De vieux routiers de la politique fédérale vont côtoyer cette jeune garde. John McCallum, ancien ministre de la défense, hérite du portefeuille de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté. Il devra tenir la promesse de M. Trudeau d’accueillir 25 000 réfugiés syriens au Canada d’ici à la fin décembre. Sans doute avec l’aide – pour la logistique – du ministre de la défense nationale, le lieutenant-colonel Harjit Singh Sajjan, devenu, en 2011, le premier militaire de religion sikh à prendre le commandement d’un régiment.
« Je regarde vers l’avenir »
Stéphane Dion, ministre de l’environnement sous Jean Chrétien, devient ministre des affaires étrangères. Il lui reviendra d’incarner ce Canada que M. Trudeau veut voir revenir en force sur la scène internationale. La nouvelle ministre de l’environnement et du changement climatique, Catherine McKenna, sera évidemment en première ligne pour la conférence sur le climat, la COP21, à Paris, à partir du 30 novembre. Pendant la campagne électorale, M. Trudeau a prudemment annoncé qu’il fixerait à son pays de nouveaux objectifs de réduction de gaz à effet de serre, mais seulement après en avoir discuté avec ses homologues des dix provinces et trois territoires canadiens, la décision devant intervenir dans les trois mois suivant la COP21. Mercredi, il a tout de même envoyé un signal clair en affirmant que « le Canada sera un acteur solide et positif » dans la lutte contre les changements climatiques, « notamment à la COP21 ». Peut-être profitera-t-il de sa présence à Paris pour en dire plus sur ses intentions.
Le poste stratégique des finances est confié à Bill Morneau, un PDG torontois qui aura la difficile tâche de faire respecter la discipline budgétaire, tout en déliant les cordons de la bourse pour permettre la réalisation de certaines priorités des libéraux. M. Trudeau lui a donné sa feuille de route en indiquant que le premier projet de loi soumis au Parlement, convoqué le 3 décembre, porterait sur une baisse des impôts pour la classe moyenne et une hausse pour les plus riches, avec entrée en vigueur au 1er janvier 2016.
L’élection de M. Trudeau a suscité beaucoup d’espoir dans le rang des déçus de la politique conservatrice de Stephen Harper – premières nations autochtones, politiciens provinciaux, représentants de la classe moyenne, associations d’aide aux plus démunis, milieu de la culture – qui ont bien souvent fait les frais de choix budgétaires drastiques. « Nous ne vous laisserons pas tomber », a promis Justin Trudeau dans une lettre ouverte aux Canadiens publiée mercredi. « Je regarde vers l’avenir », a-t-il ajouté à Rideau Hall, comme pour résumer l’ambition ultime de son programme de bon père de famille : bâtir un Canada « plus prometteur » pour ses enfants et pour ses administrés.