De plus en plus de migrants illégaux passent à pied des Etats-Unis au Canada

Article publié le 13 février sur le monde.fr

Demandeurs d’asile ou migrants craignant la nouvelle politique de Washington traversent la frontière : le phénomène n’est pas nouveau mais prend de l’ampleur.

Alors que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, arrive à Washington lundi 13 février pour une première rencontre officielle avec le président Donald Trump, le Canada fait face à un afflux sans précédent d’immigrants clandestins. Ils franchissent la frontière américaine, à pied, hors des postes douaniers de deux provinces – le Manitoba, dans l’ouest du pays, et le Québec dans l’est -, craignant d’être renvoyés dans leurs pays d’origine s’ils restent aux Etats-Unis.

A l’annonce du décret du président américain interdisant l’entrée de ressortissants de sept pays à majorité musulmane, M. Trudeau avait indiqué que le Canada resterait ouvert « à ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre ». La mesure a depuis été suspendue par la justice américaine. Le 8 février, le premier ministre canadien a temporisé, se disant « très préoccupé » par cette vague de passages illégaux, ajoutant que la protection de l’intégrité des frontières du Canada et la solidité de son système d’immigration et d’accueil de réfugiés devaient être assurées.

En pleine tempête de neige

Certains immigrants voient en tout cas le Canada comme une terre promise, n’hésitant pas à braver un froid glacial pour l’atteindre. Le 10 février, cinq personnes, dont un enfant, ont été appréhendées par la police près d’Hemmingford, au Québec, a rapporté le quotidien La Presse. Elles marchaient chargées de grosses valises étiquetées au Qatar sur un chemin frontalier.

Presque chaque jour, des groupes traversent ainsi la frontière sans se cacher de la police, puis réclament le statut de réfugié au Canada. Ils évitent les postes-frontières où ils seraient refoulés, en vertu de l’Entente sur les pays tiers sûrs, qui lie le Canada aux Etats-Unis et qui impose aux demandeurs d’asile de le faire dans leur premier pays d’accueil.

La situation n’est pas nouvelle, mais prend de l’ampleur depuis un an, coïncidant avec la campagne anti-immigration de Donald Trump. L’Agence des services frontaliers du Canada révèle avoir intercepté 823 personnes entrées ainsi au Québec entre le 1er avril et le 30 novembre, un chiffre qui a quadruplé en trois ans.

A l’autre bout du pays, le Manitoba connaît le même phénomène. Frontalière du Dakota du Nord et du Minnesota, la province des Prairies a accueilli plus 400 demandeurs d’asile illégaux depuis un an, contre 68 l’année précédente. Début février, 22 personnes, presque toutes d’origine somalienne et en situation irrégulière aux Etats-Unis, ont franchi la frontière à pied, en pleine tempête de neige et alors qu’il faisait moins 20 degrés.

Après cinq heures de marche, ils ont trouvé refuge au petit village d’Emerson. « Ce n’est pas la première fois que de tels faits se produisent, a indiqué le député local, Cliff Graydon, mais il n’en arrivait jusque-là que deux ou trois à la fois. » Ghanéens et Somaliens constituent le contingent le plus important. La Somalie figure parmi les sept pays visés par le décret de M. Trump.

« LE MÉDECIN NOUS A DIT QU’UNE HEURE DE PLUS ET NOUS SERIONS MORTS », SEIDU MOHAMED, UN GHANÉEN DE 24 ANS

Un douanier du Minnesota a expliqué à la chaîne canadienne CBC qu’ils utilisaient les services de « passeurs caritatifs ». Ils empruntent l’autoroute jusqu’à un poste-frontière abandonné et passent discrètement au Canada. Au Dakota du Nord, d’autres se rendent en autobus jusqu’à Grand Forks, puis en taxi jusqu’à la frontière, d’où ils marchent de nuit à travers champs.

C’est ce qu’a fait Seidu Mohamed, 24 ans, Ghanéen d’origine. Il a quitté son pays en 2015 pour l’Equateur, craignant pour sa vie en raison de sa bisexualité, puis a traversé l’Amérique centrale avant d’arriver en Californie. S’étant vu refuser le statut de réfugié, il s’est rendu à Minneapolis, puis en bus à Grand Forks avec un autre Ghanéen, et enfin en taxi. Après trois heures de marche dans la neige côté américain le 24 décembre, puis davantage encore côté canadien, ils ont été secourus par un chauffeur. « Le médecin nous a dit qu’une heure de plus et nous serions morts », a-t-il raconté sur CBC. Seidu a subi de graves engelures aux bras et aux mains. Mais une amputation de doigts « est un bien petit prix à payer pour avoir la chance d’une vie meilleure », a-t-il assuré.

En 2016, plus de 7 000 demandeurs d’asile sont entrés au Canada via un poste-frontière avec les Etats-Unis, une hausse de 63 % par rapport à 2015. Quelque 2 000 autres (selon des chiffres officiels) l’ont fait de façon illégale, quelque part sur la frontière de 8 891 kilomètres qui sépare les deux pays.

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À propos de Anne Pélouas

Journaliste-blogueuse au Canada, d'origine française, je suis correspondante du quotidien français Le Monde. J'écris aussi pour différentes publications québécoises et françaises, avec le tourisme, le plein air et la gastronomie pour sujets de prédilection. J'ai ouvert un second blogue en janvier 2016: Grouille pour pas qu'ça rouille. Spécial baby-boomers actifs !

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