L’auteur de l’attentat de Québec diffusait des textes d’extrême droite

Article publié sur le monde.fr le 4 février 2017

Réservé en public, Alexandre Bissonnette diffusait abondamment sur Internet des écrits ultranationalistes.

« Il me ressemble beaucoup », lâche Maxime Fiset en parlant d’Alexandre Bissonnette, l’auteur de l’attentat qui a fait six morts et huit blessés à la grande mosquée de Québec, le 29 janvier. Ancien skinhead et néonazi, fondateur en 2005 de la Fédération des Québécois de souche, groupe d’extrême droite, Maxime s’est « reconverti » en devenant consultant au Centre québécois de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) : « Comme lui, j’ai été victime d’intimidations, j’avais des opinions d’extrême droite marquées, un fort intérêt pour les armes et j’ai failli commettre un attentat. » Sauf que Maxime n’est pas passé à l’acte. Pour lui, Alexandre Bissonnette est le « troll » de la série télévisée américaine South Park, qui « trouve un exutoire à sa colère en polémiquant sur Internet, où l’aliénation devient le moteur de la radicalisation ».

Certains de ceux qui ont vu la page Facebook d’Alexandre Bissonnette avant qu’elle ne disparaisse des écrans au lendemain de la fusillade ont publié des photos du jeune homme de 27 ans aux yeux bleus, d’apparence frêle. Au fil des témoignages se dessine le portrait contrasté d’un individu plutôt bien éduqué, issu d’une famille sans histoire, sans casier judiciaire, étudiant en sciences politiques et employé d’Héma-Québec, gestionnaire de dons de sang. Mais aussi celui d’un introverti notoire aux idées ultraconservatrices.

Admiration pour Marine Le Pen

Jean-Michel Allard-Prus, un ancien camarade d’université, le décrit comme « assez timide, regardant au sol quand on lui parlait, ne verbalisant pas beaucoup ses émotions ». Il se disait « hostile aux non-Blancs et aux non-chrétiens immigrants », témoigne un ami. Plus jeune, « il était très calme et poli » mais « différent », souligne Michel Kingma-Lord, un autre ex-camarade de classe : « Ses idées n’étaient pas populaires et il était victime d’intimidations. » Une ancienne élève de son lycée se rappelle aussi qu’il était « toujours à part, attirant les railleries, répondant par des insultes ». Ce type de rejet « alimente colère, détresse et sentiment de vengeance », explique France Proulx, psychiatre de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal et experte en responsabilité criminelle. Elle ajoute : « On cherche un bouc émissaire, dans ce cas-ci, les musulmans. »

Pour le directeur du CPRMV, Herman Deparice-Okomba, tout individu radicalisé est « incompris, stigmatisé, sans perspective d’avenir, en quête de repères identitaires, avec un fort besoin de valorisation ». Selon lui, « il y a tout ça chez Alexandre Bissonnette ».

Au fil des témoignages, on sait aujourd’hui que ce jeune adulte était peu sociable, proche de son frère jumeau et qu’il a eu du mal à quitter le cocon familial. Avec son frère, ils avaient emménagé en 2016 dans un appartement proche du lieu du drame, mais ils se seraient séparés récemment, ce qui aurait renforcé son isolement. Féru d’échecs, Alexandre Bissonnette aimait aussi la chasse ; il avait appris le maniement des armes au sein des Cadets, une structure de l’armée canadienne réservée aux jeunes de 12 à 18 ans. Il en possédait plusieurs, légalement, dont deux (un pistolet 9 mm et une arme semi-automatique) qu’il a pris pour se rendre à la mosquée.

Réservé en public, Alexandre Bissonnette ne l’était pas sur Internet. C’était un « troll accompli », selon plusieurs témoignages, diffusant largement sur les réseaux sociaux des écrits soulevant le plus souvent la polémique. François Deschamps, fondateur du comité Bienvenue aux réfugiés-Québec, le suivait depuis près d’un an : « Ses commentaires étaient ultranationalistes, islamophobes, antiféministes… Il était rationnel dans ses arguments et un peu arrogant. » Là, comme à l’école, note Cécile Rousseau, professeure de psychiatrie à l’université McGill et auteure d’une étude sur les facteurs de risque associés à la radicalisation violente, « il cherchait à attirer l’attention, se mettant en position de recevoir des coups ».

S’il flirtait avec les idées indépendantistes pour le Québec, il avait surtout un fort penchant pour l’extrême droite. Il vouait une admiration particulière à Marine Le Pen, dont il avait suivi la visite à Québec en mars 2016, et à Donald Trump, se décrivant sur son compte Twitter comme un « big Trump fan ». Sur YouTube, il relayait des vidéos islamophobes.

« Alexandre Bissonnette est aussi une victime ; il n’est pas sorti du vide », a lancé l’imam Hassan Guillet, lors d’une cérémonie vendredi à Québec en l’honneur de trois des musulmans décédés. « On lui a mis dans la tête des idées plus dangereuses que des balles », a-t-il ajouté. Ces idées, ce sont celles véhiculées par des groupes d’extrême droite qui connaissent un regain d’activité au Canada. L’auteur de l’attentat semble avoir été un électron libre, en marge de ces groupes. « Pas si libre que ça, car il s’inscrit dans une mouvance de sympathie avec la radicalisation violente », estime Cécile Rousseau.

Signalements en hausse

M. Deparice-Okomba pointe, lui, les discours populistes et démagogiques qui abondent sur certaines radios privées de Québec et les groupes d’extrême droite y gagnent en visibilité dans la capitale québécoise. Il avait sonné l’alarme en novembre 2016, « observant une montée de la radicalisation d’extrême droite au Québec ». Les signalements au CPRMV, notamment pour propos haineux et islamophobie, sont en hausse, y compris depuis l’attentat.

« Les groupes d’extrême droite sortent de leur réserve au Canada depuis quatre ans et sont très actifs sur Internet », relève Aurélie Campana, professeure de sciences politiques à Québec. Les quatre groupes principaux de la capitale québécoise, montrés du doigt après l’attentat, ont clamé leur aversion pour la violence. La Meute et Les Soldats d’Odin ne comptent qu’une centaine de membres. Le plus ancien s’appelle la Fédération des Québécois de souche. Le groupe extrémiste Atalante (au slogan « Exister, c’est combattre ce qui me nuit ») est très lié à Légitime violence, un groupe musical skinhead de Québec qui a diffusé, le soir de l’attentat, un clip musical anti-immigrés.

Sans être aussi implantés qu’en Europe ou aux Etats-Unis, ces groupes demeurent dangereux, cachant leur vrai visage sur le Darknet ou les groupes fermés de Facebook. Parfois, ils sortent aussi dans la rue, affichent leurs logos nazis, taguent ou recrutent sur les campus étudiants. En 2016, un pique-nique identitaire a été organisé devant l’Assemblée nationale. « Leurs discours identitaires sur le nationalisme blanc sont racistes, souligne Aurélie Campana. Ils amalgament islamisme et islamisme radical et nourrissent clairement les stéréotypes antimusulmans. »

Il apparaît, au vu de ses prises de position sur les réseaux, que le jeune Bissonnette avait intégré ces discours. Mais il était visiblement en quête, selon les spécialistes, d’une autre tribune.

 

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À propos de Anne Pélouas

Journaliste-blogueuse au Canada, d'origine française, je suis correspondante du quotidien français Le Monde. J'écris aussi pour différentes publications québécoises et françaises, avec le tourisme, le plein air et la gastronomie pour sujets de prédilection. J'ai ouvert un second blogue en janvier 2016: Grouille pour pas qu'ça rouille. Spécial baby-boomers actifs !

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