La partie émergée de l’iceberg : des romans groenlandais

Article publié sur LE MONDE DES LIVRES le 30 mars 2016

De véritables curiosités et la réparation d’un oubli. Dans la collection « Jardin de givre » des Presses de l’Université du Québec, distribuées en France, viennent de paraître trois romans groenlandais : Je ferme les yeux pour couvrir l’obscurité (188 p., 16 €), de Kelly Berthelsen, Le Rêve d’un Groenlandais (162 p., 15 €), de Mathias Storch, et Trois cents ans après (172 p., 14 €), d’Augo Lynge. Ces œuvres ont pour points communs d’être signées par des autochtones, contrairement aux écrits des explorateurs européens et des colonisateurs danois, et de mélanger allègrement les genres littéraires : science-fiction, autobiographie, pamphlet politique, roman policier…

Méconnue à l’extérieur de l’île arctique et du Danemark, qui a, pour sa part, multiplié les traductions, la littérature groenlandaise est «la plus mature et la plus vivante» parmi la création circumpolaire inuite, voire la littérature autochtone mondiale, estime l’universitaire canadien Daniel Chartier. La mise en valeur de ce patrimoine résulte d’une coopération que ce professeur de littérature à l’Université du Québec, à Montréal, qui dirige le Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord, a nouée avec l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Un travail de longue haleine

Depuis 2003, il s’emploie à publier en français des œuvres « liées à l’imaginaire nordique, hivernal et de l’Arctique ». Un travail de longue haleine. Jusqu’à présent, seuls trois titres avaient été traduits, dont un recueil de contes et un autre de poésie. Pour ces nouvelles parutions, Daniel Chartier a consulté une demi-douzaine de spécialistes culturels groenlandais, afin d’établir une liste des œuvres qu’il leur semblait nécessaire de voir traduites et connues à l’étranger.

Premier roman « national », aujourd’hui étudié dans les lycées et l’université du Groenland, Le Rêve d’un Groenlandais, paru en 1914, est l’œuvre d’un pasteur progressiste qui milita en faveur de l’éducation pour permettre à ses concitoyens de prendre en main leur destin. Mathias Storch (1883-1957) – un des premiers grands hommes politiques du pays, ayant participé à la Commission de 1920 pour le développement du Groenland – y raconte la vie d’un jeune Inuit dans un village voisin d’une colonie danoise. Celui-ci observe cette microsociété et ses problèmes. Et rêve d’une société égalitaire où les Groenlandais collaboreraient « avec les Danois capables de les respecter ».

Trois cents ans après (1931) est le deuxième grand classique groenlandais. Ce roman d’anticipation doublé d’une intrigue policière se situe en 2021, soit trois cents ans après l’arrivée du missionnaire Hans Egede et donc le début de la colonisation danoise. Au fil de courses-poursuites dignes d’un film d’action, Augo Lynge (1899-1959), un brillant instituteur qui deviendra l’un des deux premiers députés groenlandais élus au Parlement danois, y dépeint, sur fond de critique sociale, un pays en marche accélérée vers le progrès technique. Sous sa plume, Nuuk, la capitale de l’île arctique, est un prospère port de pêche hérissé de grands immeubles. « La littérature d’un petit peuple est nécessairement politique », résume M. Chartier.

Plus contemporain, Je ferme les yeux pour couvrir l’obscurité (2001), le recueil de nouvelles de Kelly Berthelsen, 49 ans, est typique, selon lui, de « la littérature de confession du tournant du siècle au Groenland » et aux antipodes de « l’imaginaire du Nord et de l’Arctique » façonné depuis des siècles par les cultures européennes et nord-américaines. Dans cette œuvre d’une grande noirceur, la désespérance est omniprésente et l’espoir d’une vie meilleure banni du quotidien des personnages, rongés par la haine, l’alcool ou les drogues, habités par la révolte et le désarroi mais aussi cyniques face à la politique et à l’avenir du Groenland. L’association des auteurs groenlandais compte une cinquantaine de membres, parmi lesquels des écrivains prometteurs.

Du 13 mai au 17 juillet, la Maison du Danemark à Paris organise une série d’activités sur l’Arctique, avec notamment, le 19 mai, une table ronde sur l’imaginaire du Groenland et, le 20 mai, une soirée autour des trois œuvres traduites en français, en présence de Kelly Berthelsen.

 

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À propos de Anne Pélouas

Journaliste-blogueuse au Canada, d'origine française, je suis correspondante du quotidien français Le Monde. J'écris aussi pour différentes publications québécoises et françaises, avec le tourisme, le plein air et la gastronomie pour sujets de prédilection. J'ai ouvert un second blogue en janvier 2016: Grouille pour pas qu'ça rouille. Spécial baby-boomers actifs !

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