Sur la route menant d’Edmonton à Fort McMurray (Alberta), dont les 80 000 habitants ont été évacués mardi 3 mai pour cause d’incendie de forêt, la nature se réveille, les arbres verdissent, les grands champs de céréales s’assèchent, les oiseaux migrateurs filent vers le nord. Le contraste est frappant avec l’horreur vécue 430 kilomètres plus loin, au cœur des champs de l’industrie des sables bitumineux dont Fort McMurray est la capitale. Au moins 1 600 maisons ont été détruites par le feu, qui a déjà brûlé plus de 200 000 hectares de forêt.
La radio annonce l’évacuation du site pétrolier de Syncrude. Peu après, trois autobus pleins, identifiés à son nom, passent en direction sud sur l’autoroute 63, qui traverse Fort McMurray. Suivront plusieurs pick-up ou voitures couverts de cendres. Ils sont les premiers à avoir, samedi 7 mai, après l’enfer de mardi, vécu le cauchemar de retraverser leur ville dans une épaisse fumée, quittant leurs abris depuis l’exode : les camps au nord de la localité que l’industrie pétrolière a mis à leur disposition. En fin de journée, les autorités annonçaient que la plupart des 17 000 « évacués du nord » se trouvaient désormais au sud de Fort McMurray, voire à Edmonton, ou à Vancouver, en Colombie-Britannique voisine, après l’organisation de convois routiers et de ponts aériens.
« Je n’ai pas dormi pendant trois jours »

Hébergés dans le centre, les évacués attendent de savoir si et quand ils pourront retourner chez eux. JASON FRANSON POUR LE MONDE
A 240 kilomètres de Fort McMurray, à l’intersection de l’autoroute 63 et de la route de Lac La Biche, où se sont réfugiés de nombreux sinistrés, deux ouvriers de Carillion, l’entreprise chargée de l’entretien de l’autoroute, jouent les agents d’information. « La barricade de la police est à 20 kilomètres de Fort McMurray », explique Rob Rulens à ceux qui montent vers le nord. On ne passe pas. Aux sinistrés, il donne de l’eau et leur montre la route pour rejoindre le Bold Center, à Lac La Biche.
La petite ville, à 50 kilomètres de là, surplombe un lac majestueux. Paradis des pêcheurs, campeurs et golfeurs, elle a accueilli 4 400 personnes en quatre jours au Bold Center. Le parking du grand centre de loisirs est plein. Dehors, un air de fête de village : il fait chaud, les barbecues fument et les tables de pique-nique sont bien occupées, mais les mines sont basses. Femme de ménage à l’hôpital de Fort McMurray, Antoinette-Juliette Smith a quitté précipitamment la ville, encore en uniforme, une fois les patients évacués mardi. Après une nuit dans un camp avec son mari, Rodney Naude, travailleur pour Suncor, elle a pu s’habiller de pied en cap à Anzac, grâce à des dons. « Je n’ai pas dormi pendant trois jours », dit-elle. Le lit de camp du Bold Center fut providentiel, même si le couple, d’origine sud-africaine, aimerait qu’on lui trouve une chambre. Et surtout qu’on leur ramène leur chien, resté à la maison, en attendant de pouvoir y retourner eux-mêmes.